Ne bouille comme de la bougie fondue, un mètre quatre-vingt-neuf malgré sa posture d'éternel avachi, Walter Matthau n'était pas de l'étoffe dont sont faits les rêves. Pourtant, sur six actrices sommées par les télés, samedi dernier, de décrire leur partenaire d'un jour, trois (dont Sophia Loren et Meg Ryan) ont succinctement dit "sexy". Lui-même expliquait ainsi le succès du "drôle de couple" qu'il formait avec Jack Lemmon, avec qui il a tourné dix films : "C'est simple : lui il est courtaud et moche, moi grand et sexy. Quand j'étais jeune et que je buvais encore du cherry-cola, on me prenait pour un thermomètre."

Courses, poker... Matthau est mort d'une crise cardiaque samedi matin à Santa Monica. Il avait 79 ans mais n'était pas étranger aux hôpitaux. Déjà en 1966, Billy Wilder avait dû interrompre cinq mois la production de The Fortune Cookie (la Grande Combine) pendant que l'acteur se remettait d'un premier infarctus. Matthau avait 43 ans, fumait trois paquets par jour, était esclave de tous les sports sans en pratiquer aucun. Les docteurs lui ordonnèrent de cesser la tabagie et le jeu. Il cessa de fumer, mais ne ralentit que modérément sa légendaire passion pour le jeu; au début de sa carrière, il mit trois ans à rembourser ses bookmakers après avoir perdu 183 000 dollars (d'époque) en trois semaines passées à parier sur la présaison de base-ball. Lui-même a calculé avoir englouti au cours de sa vie cinq millions de dollars aux courses, au poker et en paris divers.

Billy Wilder, qui avait dans des circonstances identiques remplacé Peter Sellers sur Embrasse-moi, idiot par Ray Walston, avec un résultat mitigé, s'était félicité d'avoir cette fois attendu sa vedette : le rôle de l'avocat véreux, Willie Gingrich, avait même valu à Matthau son seul Oscar. Ironiquement, Matthau avait reçu son prix du meilleur second rôle le bras en écharpe et l'épaule plâtrée, beau pendant de la minerve qu'il force Lemmon à porter durant tout le film. Wilder fit deux autres films avec le duo, un remake de The Front Page (le très justement traduit Spéciale dernière), et le désastreux Buddy Buddy. Mais il était depuis longtemps devenu le vieux grincheux national, au moins depuis 1965, lorsqu'il devint pour tout le monde l'horrible misanthrope dans la pièce du boulevardier Neil Simon, Drôle de couple. Il n'en fut pourtant pas toujours ainsi.

Né Walter Matuschanskayasky, à New York en 1923, d'un père immigrant juif ukrainien qui l'abandonna à l'âge de trois ans, Matthau fut élevé dans des garderies de charité et dut très vite travailler. Il vendait des sodas dans un théâtre yiddish et faisait parfois de la figuration pour 50 cents la soirée. Il aimait rappeler qu'il avait débuté à Broadway comme doublure d'un acteur qui jouait un archevêque dans Anne des cent jours - l'acteur avait 86 ans, lui 26. Matthau a aussi été entraîneur dans les salles de boxe, et servi pendant la guerre comme décrypteur dans l'armée de l'air. Après des années sur les planches, il débuta au cinéma dans le film dirigé par Burt Lancaster, l'Homme du Kentucky, où il jouait le fourbe rival de la vedette, Bodine le tavernier. Le rôle était secondaire mais déjà conséquent. Il en jouera d'identiques dans la Rivière de nos amours (De Toth), Derrière le Miroir (N. Ray), King Creole (Curtiz), oscillant entre l'ami de la famille fumeur de pipe et le méchant. Dans la superbe Liaisons secrètes (Richard Quine), il passe même de l'un à l'autre. Matthau savait déjà donner un poids inhabituel à ces rôles entre chien et loup: Felix était juste le voisin bonasse et observateur, trouvant normal, puisqu'il connaissait le secret adultère de Kirk Douglas, d'aller faire du gringue à sa femme Barbara Rush.

Grand technicien. Il était encore "humain" dans Seuls sont les indomptés (David Miller), western moderne écrit par Peckinpah, dans le rôle du shérif qui se prend à défendre un progrès qu'il déteste. A partir de 1968 et de son film catapulte Drôle de couple, il jouera de plus en plus de rôles-carbone, comme si ses dettes de jeu lui enjoignaient de ne jamais dire non, ni d'aller chercher ailleurs à s'épater. Grand technicien au timing impeccable, Matthau pouvait parfois donner le change, mais il sortait rarement du boulevard : Fleur de cactus, Life of an American Wife, Plaza Suite (dans lequel il joue trois rôles différents), Hello Dolly, etc. Mais ce sont ses rares films policiers qui donnent plus le ton : le Flic ricanant (Stuart Rosenberg, 1973), ou, l'année précédente, l'excellent Charley Warrick. Dans ce film, Don Siegel parvient à tirer le meilleur de son réticent acteur, qui détestait pourtant le script. Matthau, se targuant d'un quotient intellectuel de 120, lui avait envoyé une cassette débinant le scénario point par point. Réponse : "M. Matthau, ça a été un plaisir de vous diriger, mais pour ce qui est des scripts et de vos idées, laissez-moi vous dire que vous avez des goûts de chiottes. Vous aimez voir la banane avant de glisser dessus. Moi j'aime la faire voir après que vous vous êtes cassé la figure."

De The Sunshine Boys (Ennemis comme avant) à The Bad News Bear (la Chouette équipe), en passant par des remakes de films de Shirley Temple, sa fin de carrière fut loin d'être reluisante, mais Matthau était toujours synonyme d'argent comptant pour les producteurs. Habitué des films-catastrophe (que ce soit Tremblement de terre, où il figure au générique sous le nom Matuschanskayasky, ou Pirates, de Polanski, en Captain Red), il officiait encore il y a quatre mois en joli cœur gériatrique dans Hanging Up (Raccroche). Entre Meg Ryan et Diane Keaton, il lutinait les infirmières et ressemblait à un Sam Fuller fondu.

Quand on lui parlait de se retirer, il répliquait, "me retirer dans quoi?" Il avait subi un double pontage en 1976, avait passé deux mois à l'hôpital avec une pneumonie en 1998. Il vivait depuis 1959 avec sa seconde femme, Carol, et avait trois enfants, dont un avec elle. Carol Marcus Matthau était équipée pour vivre avec un joueur invétéré : elle avait auparavant épousé (deux fois) l'écrivain William Saroyan, lui aussi grand joueur devant l'Éternel.

1993 - Prix pour l’ensemble de sa carrière par la Convention ShoWest, États-Unis.

1973 - Pour : TUEZ CHARLEY VARRICK - BAFTA du meilleur acteur aux British Academy Awards, Royaume-Uni.

1972 - Pour : PETE ET TILLIE - BAFTA du meilleur acteur aux British Academy Awards, Royaume-Uni.

1967 - Pour : DRÔLE DE COUPLE - Laurel d’Or de la meilleure interprétation masculine de comédie, États-Unis.

1966 - Pour : LA GRANDE COMBINE - Laurel d’Or du meilleur second rôle masculin, États-Unis.

1966 - Pour : LA GRANDE COMBINE - Oscar du meilleur second rôle masculin, États-Unis.